20071129

La semence de ferme peut être une contrefaçon

Le 30 octobre 2007, une nouvelle loi sur la contrefaçon n°2007-1544 a été publiée au Journal officiel. Elle renforce les moyens des titulaires de droits de propriété intellectuelle dans leur lutte contre les contrefaçons : une « affaire de trafiquants et de mafias » selon le rapporteur de la commission des lois du Sénat.

Le sénateur ne visait certainement pas les agriculteurs qui « font leur propre semence à la ferme » lorsqu’il a dit cela, mais il serait pourtant erroné de penser que cette pratique ancienne et fréquente échappe à la nouvelle loi de manière certaine. Au contraire, une semence produite à la ferme peut être, en droit, considérée comme une contrefaçon lorsque la semence fermière est tirée d’une variété végétale protégée par un Droit d’Obtention Végétale (DOV). Le DOV confère à son titulaire une exclusivité temporaire sur une variété, la « variété protégée ». Cette exclusivité s’étend à toute production de semences, sauf exception.

Il est certain que beaucoup d’agriculteurs reproduisent de la semence à la ferme à partir de la récolte d’une variété protégée. En pratique, ils la reproduisent pendant une ou plusieurs années, sans en demander l’autorisation au titulaire du DOV. Or, la reproduction d’une variété protégée n’est légale qu’à certaines conditions qu’il importe d’examiner en distinguant le droit communautaire, où cette reproduction est possible à certaines conditions, du droit français où, en l’état, cette pratique est tolérée quoiqu’elle soit contraire à la loi comme cela a été confirmé par la Cour d’appel de Nancy en 1988.

Le DOV communautaire, créé en 1994, prévoit une limite aux droits exclusifs du titulaire. Il s’agit d’une exception en faveur des agriculteurs qui veulent reproduire une variété protégée sur leur exploitation pour leur propre utilisation. Cette exception n’est valable que pour une liste de 20 espèces dont le blé et la pomme de terre, mais cette liste n’inclut pas des espèces telles que le maïs et le soja. Selon cette exception, les agriculteurs peuvent reproduire la variété protégée sans obtenir l’autorisation du titulaire, mais à la condition qu’ils s’acquittent de certaines obligations, notamment du versement d’une « redevance équitable ». Si un agriculteur ne rémunère pas le titulaire, les conditions de l’exception ne sont pas remplies. Il s’agit alors de contrefaçon.

Parallèlement, il existe le régime français de DOV créé en 1970. La rédaction actuelle de l’article L. 623-4 du Code de propriété intellectuelle confère l’ensemble de l’exclusivité de la production de la semence – sans aucune exception - au titulaire du DOV français. Un agriculteur ne peut donc reproduire une variété protégée française sans l’autorisation expresse du titulaire. Sans cette autorisation, il s’agit de contrefaçon. Il faut noter toutefois qu’il existe une tolérance unique pour le blé tendre parce qu'une « contribution volontaire obligatoire » a été instaurée sur toutes les récoltes de blé tendre. C’est un prélèvement de forme hybride qui est reversé en partie aux obtenteurs. L’autre partie est utilisée pour financer la recherche en France bien que ce prélèvement s’applique indistinctement aux variétés françaises et communautaires.

Pour schématiser la situation d’aujourd’hui, la semence issue d’une variété protégée et produite par un agriculteur est une contrefaçon si l’agriculteur ne rémunère pas un obtenteur d’une variété communautaire ou s'il reproduit une variété française sans une autorisation expresse, à l'exception du blé tendre. Ces contrefaçons tombent bien évidemment sous le coup de la loi sur la contrefaçon qui vient de renforcer les droits des titulaires et les actions en contrefaçon.

Curieusement, à la fin des débats devant le Sénat sur la contrefaçon, planait l’idée qu’une semence de ferme ne pouvait pas être une contrefaçon. Le sénateur Bernard Sellier avait introduit un amendement pour exclure la semence de ferme du champ d’application de la loi. Suite aux propos du Ministre Novelli, M. Sellier a retiré l’amendement en concluant : « Vous le dites sans ambiguïté : l'usage des semences de ferme ne sera ni une dérogation, ni une tolérance, mais un droit des agriculteurs ». Il a été expliqué que la prochaine loi sur les obtentions végétales règlerait la question. Les agriculteurs pourraient alors faire de la semence de ferme. Mais, on a oublié de préciser que dans ce projet de loi sur les obtentions végétales, ce droit de reproduire est soumis à des conditions telles que la rémunération. Il n’existe que pour une liste limitative d’espèces. De plus, il est dit clairement dans le projet de loi que :

« Art. L. 623-24-7. – L’inexécution par les agriculteurs des obligations imposées par la présente section pour bénéficier de la dérogation […] confère à l’usage de ladite dérogation le caractère d’une contrefaçon ».

Les agriculteurs qui pensent détenir un droit historique de ressemer gratuitement et librement leur semence se trompent lorsqu’il s’agit de semences de variétés protégées. D’un côté, les obtenteurs font de lourds investissements et effectuent un long travail de sélection. Il est normal qu’ils puissent bénéficier des royalties qui leur sont dues et de poursuivre les contrefacteurs. De l’autre, il est erroné de laisser entendre qu’il existe un droit général de reproduire et d'induire les agriculteurs en erreur. Les agriculteurs ne bénéficient que d’une exception communautaire pour certaines espèces et à certaines conditions et ce sera bientôt la même situation pour les DOV français (cf. projet de loi devant l’Assemblée nationale qui devrait de nouveau être inscrit à l’ordre du jour). Si un agriculteur reproduit des variétés protégées, il doit accepter l'obligation de compenser l'obtenteur pour son travail effectué. La recherche en dépend.

Pendant les années 1970 et 1980, on a fortement encouragé les agriculteurs à abandonner leurs variétés locales, moins productives mais libres de tout droit de propriété intellectuelle. Il leur fallait adopter la modernité et les variétés commercialisées. Mais ce choix a été accompagné par l’abandon d’une liberté, chose qui n’a jamais été expliquée alors : en abandonnant leurs variétés locales, les agriculteurs abandonnaient leur liberté de reproduire des semences sans contrainte. C’est pourquoi aujourd’hui, il y a un regain d’intérêt pour les variétés locales et aussi pour les variétés du domaine public, toutes deux librement reproductibles et qui ne peuvent faire l’objet d’aucune action en contrefaçon.

© Shabnam Laure ANVAR (cet article peut être reproduit avec autorisation explicite de l'auteur, écrire à droitetsemence (@) gmail (point) com )

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