20080207

Le droit et les variétés anciennes: l'affaire Kokopelli

La condamnation de l'Association Kokopelli

L'Association Kokopelli a été condamnée devant le TGI de Nancy en décembre 2007 dans le procès intenté par l'entreprise Baumaux et devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation en janvier 2008 dans l'affaire qui l'opposait au GNIS (interprofession de semences) et la FNPSP (Fédération nationale des producteurs de semences potagères).

La réaction de la Secrétaire d'Etat à l'Ecologie

Selon l'AFP, le mercredi 6 janvier 2008, Nathalie Kosciusko-Morizet, la secrétaire d'Etat à l'Ecologie, a indiqué qu'un amendement sera proposé dans le cadre de loi Grenelle pour autoriser la commercialisation de variétés anciennes.

La réaction du GNIS

Le GNIS a réagi très vite avec un communiqué de presse sur son site pour faire une mise au point.

Il s'agit pour nous ici d'apporter les précisions nécessaires.

Le Catalogue créé à la demande des sélectionneurs

Tout d'abord, il est dit dans ce communiqué que le Catalogue officiel des variétés "a été créé par l'Etat en 1932 à la demande des agriculteurs". Il faut savoir que sa création a été demandée par les semenciers avant tout, en raison de la concurrence déloyale qui nuisait au marché des nouvelles variétés sélectionnées. Toutes les références historiques l'indiquent (1). Ce n'est que très récemment que le GNIS dit dans ses communiqués de presse ou articles de presse que cela aurait été à la demande des agriculteurs.

Les agriculteurs n'ont donc pas été les demandeurs de cette réglementation. Et les jardiniers amateurs encore moins.

Les variétés anciennes ne doivent être inscrites que depuis 1960

Il faut aussi savoir que ce Catalogue, créé en 1932, était initialement facultatif. Il n'était pas obligatoire d'y inscrire une variété pour pouvoir la commercialiser. C'est depuis 1949, que toutes les variétés nouvelles doivent obligatoirement y être inscrites. A partir de 1960 toute variété - nouvelle ou non (cf. ancienne) - doit être inscrite au Catalogue. Mais à partir de ce moment les conditions d'inscription au Catalogue rendent quasiment impossible l'inscription ou le maintien au Catalogue de variétés anciennes.

L'objectif de la réglementation semences: régir la commercialisation de semences vendues aux agriculteurs, pas celles vendues aux amateurs

A cela s'ajoute que toute cette réglementation était mise en place pour régir la commercialisation de semences à des agriculteurs professionnels. Il n'avait jamais été question de réglementer les variétés vendues à des amateurs. Mais au fur et à mesure des années, et surtout lorsque le marché des variétés des semences vendues aux amateurs est devenu un marché lucratif (le jardinage amateur est un secteur qui connaît une forte croissance depuis les années 1990), il a été estimé, en France, que la réglementation semence s'appliquait aussi désormais aux semences vendues aux amateurs. Parce que la réglementation n'avait pas spécifiquement restreint son champ d'application aux seules semences vendues aux agriculteurs professionnels, elle a été appliquée aux semences vendues aux amateurs, bien que parfaitement inadaptée.

La fausse solution: le registre amateur

L'impossibilité d'inscrire de nombreuses variétés anciennes a provoqué l'ouverture d'un registre pour variétés anciennes vendues uniquement à des jardiniers amateurs en 1997. Il s'agissait de contrôler ce marché, tout en simplifiant les règles. Mais imposer un régime d'autorisation préalable de mise sur le marché à ce type de vente est disproportionné et injustifié. La réglementation des semences a été justifiée par les problèmes de qualité de semences vendues aux agriculteurs. Mais en ce concerne les petites quantités de semences vendues à des amateurs, un tel régime n'est pas justifié et soulève la question de sa légalité au regard de la liberté du commerce.

De plus, le coût d'inscription est important pour des ventes de petites quantités. Bien que le GNIS dise que l'inscription de variétés anciennes est gratuite, elle ne l'est pas officiellement. La grille des tarifs d'inscription 2007 en témoigne: chaque inscription est officiellement de 249, 63€ (source: tous les tarifs sont indiqués dans un document en ligne du GEVES, organisme chargé des essais pour l'inscription au Catalogue). (Le lien vers les tarifs de 2007 ne fonctionnant plus, nous rajoutons celui vers les tarifs de 2008: cliquez-ici, les inscriptions de variétés anciennes sont désormais à plus de 250€).

Le débat autour de la conservation de la biodiversité est, quant à lui, un vivier d'arguments qui noie le débat. Des deux côtés on revendique être le protecteur de la biodiversité. Chacun y contribue à sa manière.

Le GNIS, un représentant "obligatoire"

Concernant les indications à propos du GNIS à la fin du communiqué, il dit représenter "l'ensemble des professionnels de la filière semences". Il est important de comprendre, que la réglementation actuelle oblige tous les professionnels de s'inscrire auprès du GNIS et, le cas échéant, satisfaire des conditions particulières pour obtenir une carte professionnelle. Sans cela, ces acteurs ne peuvent légalement exercer leur métier. C'est bien parce c'est obligatoire que le GNIS représente "l'ensemble de la filière". Si les acteurs avaient un choix, ce ne serait probablement pas le cas.

Les chiffres, tout un débat

Enfin, concernant le chiffre impressionnant de 32000 variétés: il représente en fait le nombre de variétés inscrites au Catalogue commun géré au niveau communautaire par la Commission européenne. Il ne s'agit en aucun cas du nombre de variétés inscrites dans le Catalogue français (6500 selon le GNIS), et encore moins du nombre de variétés effectivement disponibles à l'achat en France. En effet, ce n'est pas parce qu'une variété est au Catalogue officiel qu'elle est effectivement commercialisée. Le chiffre du nombre de variétés effectivement commercialisées doit être beaucoup plus bas; mais là aucun chiffre officiel n'est donné, peut-être parce qu'il serait beaucoup moins flatteur.

Beaucoup de choses restent à dire à ce sujet d'une complexité étonnante et très mal connu. Tel est l'objet de ma thèse, que je suis en train de terminer: "La semence et le droit".


(1) En ce sens, Emile Schribaux (1923), Pierre Jonard (1951), pamphlets du GNIS d'avant 2000, par exemple GNIS, Les semences "certifiées" de céréales: un trésor est caché dedans, GNIS n°701, avril 1970.

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