20071121

A propos des lois de mars 2006 sur l'obtention végétale française

Un détail significatif : La prolongation de la durée de protection du certificat de l’obtention végétale française ne dépendait pas de la ratification de la Convention de 1991

Un premier projet de ratification d’UPOV 1991 a été déposé en 1996 (1). Mais ce n’est que dix ans plus tard que le législateur précipita et adopta la loi de ratification d’UPOV 1991 le 2 mars 2006 (2). Cette hâte avait été justifiée par le besoin imminent de prolonger la durée de protection accordée aux obtenteurs de 20 à 25 ans. Curieusement, cette prolongation avait déjà été opérée la veille par une loi du 1er mars 2006, qui avait, elle aussi, été adoptée en « urgence » (3). La raison principale avancée par les rapports parlementaires (4) était que certains COV allaient arriver à leur terme et que des variétés végétales allaient « tomber dans le domaine public ». Il fallait, arguait-on, « sauvegarder [la] Charlotte et [la] Mona Lisa » (5) (cf. deux variétés de pommes de terre). Autrement dit, c'est la peur du domaine public qui a poussé à l’adoption hâtive de ces deux lois (6).

Théoriquement, toute protection par un droit de propriété intellectuelle est limitée dans le temps car octroyer une exclusivité à un obtenteur ou un inventeur est une dérogation à la liberté d’entreprendre de toute autre personne ; mais aussi, et peut-être surtout, on confère un droit exclusif pour encourager la divulgation d’un texte, d’une invention ou d’une obtention végétale afin de permettre une meilleure diffusion des connaissances. C’est ainsi que l’article 8 de la Convention de 1978 et l’article 19.1 de la Convention de 1991 indiquent que le droit d’obtenteur est accordé pour une durée « limitée » ou « définie ».

Certes, les deux conventions de 1978 et de 1991 prévoyaient une durée de protection, au demeurant différente : la première la fixait à 15 ans, sauf pour les arbres et la vigne, lesquels devaient être protégés au moins 18 ans (7); quant à la seconde, elle prolongeait ces deux durées jusqu’à respectivement 20 et 25 ans(8). Pour autant, les périodes de protection ainsi établies correspondaient à un minimum que rien n’empêchait les Etats signataires de dépasser, les conventions précitées ne fixant aucune durée maximale. La France pouvait donc, librement, que ce soit sous le régime de la Convention de 1978 ou sous celui de la Convention de 1991, prolonger la durée des droits exclusifs accordés en France aux obtenteurs. Il est donc difficile de soutenir, comme il a été fait devant l’Assemblée nationale, qu’en « [...] l’absence de ratification rapide de l’acte de révision de 1991 », des variétés tomberaient dans le domaine public car il était possible d’étendre la durée de protection par une loi française, dans le cadre de la convention de 1978 (9). De fait, la loi du 1er mars 2006 modifiant l’article L. 623-13 du CPI a été adoptée avant celle de la ratification et était d’application immédiate. Son application n’est donc pas soumise à la condition de ratification de la Convention de 1991.

Mais ces arguments d’ « urgence », fondés sur la ‘peur’ du domaine public, ont permis l’adoption rapide de la loi de ratification en évitant une discussion de fond sur les véritables changements qu’impliquait la ratification de ce nouveau traité, ce qui est regrettable. Le choix de prolonger la durée du certificat d'obtention végétale français était et est une question de droit interne uniquement.

(1) Le projet de loi a été déposé au Sénat le 11 décembre 1996 et examiné par sa Commission des Affaires étrangères et de la défense le 26 juin 1997.

(2) Loi n°2006-245 du 2 mars 2006 autorisant la ratification de la révision de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales, JORF n° 53 du 3 mars 2006.

3) Le rapport de J.-P. Nicolas devant le Sénat en titre de sa deuxième partie parle d’ « urgence » : « L'urgence d’un allongement de la durée des certificats d’obtention végétale ». J.-P. Nicolas, Rapport fait au nom de la Commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale sur la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative aux obtentions végétales (n° 2869), www.assemblée-nationale.fr, 23 février 2006. Cette loi du 1er mars a modifié l’article L. 623-13 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) et donc la durée de protection que confèrent les COV français. Loi n° 2006-236 du 1er mars 2006 relative aux obtentions végétales, JORF n° 52 du 2 mars 2006.

(4)Pour le Sénat : J. Puech, Rapport supplémentaire fait au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat sur le projet de loi autorisant la ratification de la révision de la convention internationale pour la protection des obtentions végétales, www.senat.fr, 7 décembre 2005. Pour l’Assemblée Nationale : J. Glavany, Rapport fait au nom de la Commission des Affaires Etrangères de l'Assemblée nationale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la révision de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (n° 2803), n°2849, 13 février 2006, 8 p.

(5) Glavany, Rapport fait au nom de la Commission des Affaires Etrangères de l'Assemblée nationale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la révision de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (n° 2803).

(6) Ces sont ces ‘chutes’ qui ont « motivé les autorités françaises à relancer le processus de ratification de l’acte de révision de 1991 et à entreprendre parallèlement une modification du code de la propriété intellectuelle et du code rural» Ibid.

(7) L ‘article 8 de la Convention UPOV de 1978 impose une durée de la protection comme suit : « Le droit conféré à l’obtenteur est accordé pour une durée limitée. Celle-ci ne peut être inférieure à quinze années, à compter de la date de la délivrance du titre de protection. Pour les vignes, les arbres forestiers, les arbres fruitiers et les arbres d’ornement, y compris, dans chaque cas, leurs porte-greffes, la durée de protection ne peut être inférieure à dix-huit années, à compter de cette date ».

(8) Article 19.2 de la Convention UPOV 1991 : « Cette durée ne peut être inférieure à 20 années, à compter de la date d'octroi du droit d'obtenteur. Pour les arbres et la vigne, cette durée ne peut être inférieure à 25 années, à compter de cette date. ».

(9) Glavany, Rapport fait au nom de la Commission des Affaires Etrangères de l'Assemblée nationale sur le projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la révision de la Convention internationale pour la protection des obtentions végétales (n° 2803).

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